Le Meurtre de Kyralessa, Gheorghiu
Style de l'écrivain
Si on lit Le Meurtre de Kyralessa sans connaître auparavant Virgil Gheorghiu, on est forcément étonné par le style narratif. Très simple, presque journalistique dans les premiers chapitres, l'écriture de Gheorghiu arrive à toucher le lecteur en faisant passer de nombreux sentiments par un langage simple. On n'a pas besoin de nombreux détails pour comprendre qui est le général Dracopol : il est un tyran qui règne sur une région moldave sans être originaire du pays. On sait qui est Bogomil rien qu'en écoutant le récit de ses exploits de la bouche des témoins : un Robin des bois, distribuant la richesse des riches accumulée sur le dos des pauvres aux nécessiteux.
Peu à peu, Virgil Gheorghiu prend de la place au sein de la narration et sa présence devient nécessaire à l'avancée - non pas de l'histoire - mais de la pensée développée. Il défend son point de vue sur la liberté, la foi et l'épopée nationale. Ces trois thèmes sont récurrents tout au long du livre. La plume est dure au début, et plus l'histoire avance, plus elle devient légère : le dernier chapitre se passe d'ailleurs non sur terre mais presque au ciel. On fait partie intégrante de la légende de Bogomil, on connait l'âme des paysans moldaves opprimés par le joug phanariote.
Une intrigue bien cousue
Je ne compte pas - et c'est pourtant ma spécialité - révéler la fin du livre, pour ne pas voler le plaisir de ceux qui souhaitent découvrir cette histoire. En refermant le livre, j'ai repensé aux premier et dernier chapitres - j'ai constaté que Gheorghiu avait fait évoluer ma pensée. Le premier chapitre est sobre, glacial - on n'apprécie aucun personnage, Bogomil compris. La "caméra", le point de vue, se déplace à chaque chapitre derrière des personnages différents (Dracopol, Bogomil, Séraphin, Apostol...) A la fin, nous connaissons l'histoire de chacun d'eux, et on comprend où se trouve le nœud du problème.
Pendant toute la durée du livre, on attend une révélation. On sait que l'auteur nous cache quelque chose. Lorsque ce moment arrive, et que l'on en sait davantage sur l'identité et l'histoire personnelle du brigand Bogomil, on quitte la légende pour le roman épique. On sait que le surnaturel n'existe pas à l'état de nature, mais que nous le construisons nous-mêmes, comme l'a fait Bogomil.
Et c'est justement au dernier chapitre qu'on décerne le "grand pardon" : le lecteur aime tous les personnages. On aime Bogomil car on sait ce qu'il représente, on aime les villageois, mais on aime aussi les militaires, et la morale finale veut que le pardon s'impose. Gheorghiu explique que Bogomil ne peut tuer Dracopol car il perdrait le ciel.
Chrétien ou non, on peut aimer ce livre, car il met en avant la force et le courage du peuple lorsque celui-ci est uni. Rien ne peut l'arrêter.